
Bonjour,
Format : PDF – EPUB – KPF
Aime, et tu renaîtras ! un Roman de Mathilde Alanic
Affairé, important, mugissant à plein tuyau, le petit train d’intérêt local venait de traverser la Loire, sur le pont de Chalonnes, et se lançait maintenant, d’un élan courageux, par la fraîche et riante campagne, encore parée de couleurs printanières. L’odeur exquise des herbes fleuries, abattues par les faucheuses, montait des vastes plaines, où s’alignaient de minces peupliers. Le ciel nacré, le grand fleuve indolent, les prairies, les vergers, les haies de roses, les maisons blanches festonnées de vignes, les enfants même accourus sur les portes, tout respirait la douceur angevine, la quiétude heureuse d’une terre prospère.
Les deux jeunes femmes, assises aux angles opposés d’un même compartiment, semblaient aussi attentives à ces plaisants tableaux qu’indifférentes l’une à l’autre. Cependant, quoi qu’elles voulussent s’ignorer, elles avaient dû quand même exercer mutuellement cette faculté féminine qui permet, en un seul coup d’œil, de relever un signalement complet. La brune fille en deuil, qui penchait à la portière de l’ouest une figure irrégulière mais piquante, aux yeux noirs pétillants, aux frisures capricieuses, échevelées par la brise, non seulement avait étudié d’un regard furtif la toilette de foulard bleu à ramages défraîchie, le toquet hérissé de plumes blanches, le profil délicat un peu court, la bouche rougie à la fraise, les longs cils palpitants sur une joue nacrée, les bandeaux cuivrés de sa compagne d’occasion ; mais elle conjecturait déjà, à voir la main nerveuse tourmenter la courroie de la glace, le petit pied battre le tapis, les dents mordeuses ronger la lèvre charnue, que l’inconnue comprimait une violente agitation morale.
Et rassemblant ces indices, l’esprit agile de Thérésine Jouvenet s’exerçait au petit jeu des questions : « Parisienne ? Étrangère ? Actrice ? Procès ? Divorce ? En tout cas, des papillons noirs ! »
Le train s’immobilisait, à une halte, pour détacher du convoi quelques wagons chargés de fonte et de ferraille. Ceux-ci furent aiguillés sur une voie étroite, qui filait vers les hautes cheminées dont les cylindres rougeâtres dépassaient les cimes des bois, à l’horizon. Plus proches, au milieu des prés, quelques maisonnettes symétriques, encadrées de jardinets, indiquaient une colonie ouvrière en formation.
De l’autre côté de la station, attendant que la barrière du passage à niveau fût ouverte, se pressait une foule nombreuse et endimanchée, les hommes, vêtus de drap fin, un melon ou un haut-de-forme sur la tête, les femmes portant le chapeau à fleurs, la coiffe angevine en éventail ou le bonnet plissé des Saumuroises, et tenant contre leurs jupes des enfants aux mines affriolées. Derrière ces piétons, un encombrement, à chaque seconde accru, de véhicules de tous modèles et de tous calibres, autos, victorias, carrioles ou tilburys.
Une effervescence joyeuse animait cette cohue d’où montaient de joviales exclamations à l’adresse des cheminots.
– Hé ! là-bas ! Accélérez le mouvement ! La collation est servie à l’usine !
– Les mariés viennent trinquer avec nous. Ça serait déshonnête de les faire attendre !
La voyageuse au plumet blanc parut brusquement s’éveiller aux choses réelles. Elle se tourna d’un sursaut vers sa compagne. Pour la première fois, leurs yeux se rencontrèrent.
– Quel est le mariage dont parlent ces gens ?
Interpellée avec ce sans-façon, Thérésine Jouvenet ne se sentit guère disposée à l’aménité. Sans s’occuper de satisfaire cette curiosité impérieuse, elle parut s’attentionner à rassembler ses menus colis sur la banquette. L’inconnue reprenait, en modérant, cette fois, l’âpreté de son accent :
– Je devais justement assister à un mariage... à Saint-Pierre-du-Layon : celui de M. Serge Guérard et de Mlle...
– Mlle Hélène Marescaux, acheva charitablement Thérésine, prenant cette hésitation pour une défaillance de mémoire. Eh bien ! c’est celui-là même qui vient de se célébrer…
Le plaisir de lire avec La Petite Librairie
Serge
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Aime, et tu renaîtras ! un Roman de Mathilde Alanic
Affairé, important, mugissant à plein tuyau, le petit train d’intérêt local venait de traverser la Loire, sur le pont de Chalonnes, et se lançait maintenant, d’un élan courageux, par la fraîche et riante campagne, encore parée de couleurs printanières. L’odeur exquise des herbes fleuries, abattues par les faucheuses, montait des vastes plaines, où s’alignaient de minces peupliers. Le ciel nacré, le grand fleuve indolent, les prairies, les vergers, les haies de roses, les maisons blanches festonnées de vignes, les enfants même accourus sur les portes, tout respirait la douceur angevine, la quiétude heureuse d’une terre prospère.
Les deux jeunes femmes, assises aux angles opposés d’un même compartiment, semblaient aussi attentives à ces plaisants tableaux qu’indifférentes l’une à l’autre. Cependant, quoi qu’elles voulussent s’ignorer, elles avaient dû quand même exercer mutuellement cette faculté féminine qui permet, en un seul coup d’œil, de relever un signalement complet. La brune fille en deuil, qui penchait à la portière de l’ouest une figure irrégulière mais piquante, aux yeux noirs pétillants, aux frisures capricieuses, échevelées par la brise, non seulement avait étudié d’un regard furtif la toilette de foulard bleu à ramages défraîchie, le toquet hérissé de plumes blanches, le profil délicat un peu court, la bouche rougie à la fraise, les longs cils palpitants sur une joue nacrée, les bandeaux cuivrés de sa compagne d’occasion ; mais elle conjecturait déjà, à voir la main nerveuse tourmenter la courroie de la glace, le petit pied battre le tapis, les dents mordeuses ronger la lèvre charnue, que l’inconnue comprimait une violente agitation morale.
Et rassemblant ces indices, l’esprit agile de Thérésine Jouvenet s’exerçait au petit jeu des questions : « Parisienne ? Étrangère ? Actrice ? Procès ? Divorce ? En tout cas, des papillons noirs ! »
Le train s’immobilisait, à une halte, pour détacher du convoi quelques wagons chargés de fonte et de ferraille. Ceux-ci furent aiguillés sur une voie étroite, qui filait vers les hautes cheminées dont les cylindres rougeâtres dépassaient les cimes des bois, à l’horizon. Plus proches, au milieu des prés, quelques maisonnettes symétriques, encadrées de jardinets, indiquaient une colonie ouvrière en formation.
De l’autre côté de la station, attendant que la barrière du passage à niveau fût ouverte, se pressait une foule nombreuse et endimanchée, les hommes, vêtus de drap fin, un melon ou un haut-de-forme sur la tête, les femmes portant le chapeau à fleurs, la coiffe angevine en éventail ou le bonnet plissé des Saumuroises, et tenant contre leurs jupes des enfants aux mines affriolées. Derrière ces piétons, un encombrement, à chaque seconde accru, de véhicules de tous modèles et de tous calibres, autos, victorias, carrioles ou tilburys.
Une effervescence joyeuse animait cette cohue d’où montaient de joviales exclamations à l’adresse des cheminots.
– Hé ! là-bas ! Accélérez le mouvement ! La collation est servie à l’usine !
– Les mariés viennent trinquer avec nous. Ça serait déshonnête de les faire attendre !
La voyageuse au plumet blanc parut brusquement s’éveiller aux choses réelles. Elle se tourna d’un sursaut vers sa compagne. Pour la première fois, leurs yeux se rencontrèrent.
– Quel est le mariage dont parlent ces gens ?
Interpellée avec ce sans-façon, Thérésine Jouvenet ne se sentit guère disposée à l’aménité. Sans s’occuper de satisfaire cette curiosité impérieuse, elle parut s’attentionner à rassembler ses menus colis sur la banquette. L’inconnue reprenait, en modérant, cette fois, l’âpreté de son accent :
– Je devais justement assister à un mariage... à Saint-Pierre-du-Layon : celui de M. Serge Guérard et de Mlle...
– Mlle Hélène Marescaux, acheva charitablement Thérésine, prenant cette hésitation pour une défaillance de mémoire. Eh bien ! c’est celui-là même qui vient de se célébrer…
Le plaisir de lire avec La Petite Librairie
Serge